Des voitures de course intransigeantes et des pilotes audacieux. L’image de Bugatti est immédiatement associée à de nombreuses victoires historiques remportées lors des courses automobiles internationales – les glorieux jours de Grand Prix de la marque. Entre 1920 et le milieu des années 30, les voitures de course du fabricant français originaire d’Alsace ont gagné plusieurs milliers de concours. Mais, outre les véhicules exceptionnels construits par Bugatti comme la légendaire, agile et légère Type 35, ce sont surtout les pilotes de course qui sont largement responsables du succès. Ils sont faits d’un bois particulier, car ils ont une passion pour la technique et la vitesse, aussi bien sur terre que dans les airs.
L’aviation s’est développée en parallèle avec l’automobile et les deux secteurs ont pris de l’ampleur en France au début du 20e siècle. En 1906, le premier avion à moteur est né – mis au point par un Brésilien vivant à Paris. En 1907, le Français Louis Charles Breguet met au point le premier hélicoptère et en 1909, le Français Louis Blériot est le premier homme à traverser la Manche en avion. C’est la même année qu’Ettore Bugatti décide de s’installer dans la ville alsacienne de Molsheim. Le jeune développeur aime la technique extraordinaire et il est sous le charme de l’aviation, des pilotes et du secteur de l’automobile encore naissant. Aussi, il n’est pas étonnant que Bugatti ne se limite pas au développement et à la conception d’automobiles légères et puissantes et de voitures de course pur-sang, mais construise aussi des hors-bords, des trains à grande vitesse et des avions. « Depuis 110 ans, Bugatti est étroitement lié au sport automobile et à l’aéronautique. Les premiers modèles présentent un parallèle évident avec ces deux domaines techniques. Il s’agit notamment de la mécanique ouverte, la construction légère cohérente d’un bon rapport puissance/poids et des premiers essais d’amélioration de l’aérodynamique », affirme Stephan Winkelmann, président de Bugatti. « Ettore Bugatti a également conçu une grande variété de machines de haute précision, légères, puissantes et techniquement exigeantes. Outre les voitures de course intransigeantes il a produit des moteurs d’avions et construit lui-même son propre avion. »
Le premier moteur d’avion construit en 1915 par Bugatti fut un puissant moteur en série huit cylindres de 250 ch. Lui ont succédé des moteurs 16 cylindres constitués de deux blocs de huit cylindres verticaux placés les uns à côté des autres dans un carter commun. Le gouvernement français n’est pas intéressé par les moteurs d’avion, mais l’administration américaine l’est. Le moteur d’avion King Bugatti 16 cylindres développait une puissance de 420 ch pour un régime d’environ 2 000 tr/min. Il était prévu d’en construire au moins 2 000 exemplaires, mais l’armistice qui a mis fin à la Première Guerre mondiale en novembre 1918 a rendu le projet obsolète. Seuls 40 de ces moteurs ont vraisemblablement été construits. Bugatti se consacre les années suivantes essentiellement à ses véhicules, mais construit encore en 1925 un moteur d’avion 16 cylindres (type 34) qu’il adaptera plus tard à la Type 41 Royale. C’est à travers ses relations humaines qu’Ettore Bugatti conserve encore un lien avec l’aviation : sa vie durant, le « patron » a entretenu des liens étroits avec les anciens pilotes de la Première Guerre mondiale. Ils veulent vivre sur la route l’ivresse de la vitesse qu’ils expérimentent dans les airs. Une idée qui plaît beaucoup à Ettore Bugatti.
Louis Blériot
Louis Blériot a été le premier Français à conduire une Bugatti. Pour Ettore Bugatti, c’est un honneur, car Blériot est déjà une célébrité à l’époque. En juillet 1909, il est le premier homme à traverser la Manche dans une machine qu’il a lui-même mis au point et devient un héros national en France. Il parcourt les quelques 35 kilomètres qui séparent Calais de Douvres en seulement 37 minutes. Cet exploit parvient aux oreilles d’Ettore Bugatti qui, cette année-là, travaille à Cologne comme constructeur dans la société Gasmaschinefabrik Deutz AG, une usine de moteurs à gaz. À l’occasion d’un salon aéronautique à Cologne, Ettore Bugatti accueille Louis Blériot chez lui et l’amène à l’aéroport dans le véhicule qu’il a lui-même construit. Blériot est enthousiasmé par le véhicule et insiste pour que Bugatti le produise. Car la Type 10 de 1909 n’est qu’un projet – conçu avant même que Bugatti ne fonde sa propre entreprise. Le véhicule anticipe ce que la marque Bugatti représente depuis : des véhicules puissants et rapides avec un rapport poids/puissance en partie inégalé. Ce véhicule pesant près de 365 kg et développant une puissance d’environ 10 ch atteint 80 km/h, ce qui plaît énormément au pilote Louis Blériot. Les deux entrepreneurs resteront en contact toute leur vie. Blériot reste fidèle à l’aviation, fonde son entreprise aéronautique et fabrique ses propres avions. Ce pionnier de l’aéronautique est mort en 1936 à Paris.
Roland Garros
Roland Adrien Georges Garros (1888-1918) n’a certes jamais participé à des courses pour Bugatti, mais ce pionnier français de l’aéronautique a conservé des liens étroits avec Bugatti. Garros achète en 1910 un avion Santos-Dumont-Demoiselle et apprend à voler sur cet appareil. Dans la période qui suit, il devient peu à peu un des aviateurs les plus connus de France. Garros acquiert une renommée mondiale lorsqu’après plusieurs victoires au cours de manifestations aéronautiques et de courses aériennes, il traverse la Méditerranée en avion en 1912. Ettore Bugatti et ses véhicules attirent l’attention de Garros après leurs victoires au Mont Ventoux avec la Type 18. Garros qui aime la vitesse cherche à la même époque une voiture qui lui permet d’aller aussi vite sur terre que dans l’air. Il se décide en 1913 pour la Type 18, que l’on appellera plus tard « Black Bess » (du nom d’un cheval de course britannique). Le moteur quatre cylindres de 5,0 litres développe une puissance allant jusqu’à 100 ch et atteint une vitesse de plus de 150 km/h. Seulement six ou sept véhicules ont été construits à partir de cette voiture de course avec un rapport poids/puissance alors inconnu et une configuration sportive sans compromis. Les premières hypersportives sur route entrent dans l’histoire automobile. La vente du véhicule à Garros est pour Bugatti non seulement un énorme succès commercial, mais aussi le début d’une amitié étroite et malheureusement courte avec le pilote pour qui Ettore était le « seul artiste qui a réussi à donner vie à l’acier ». Durant la Première Guerre mondiale, le pilote s’engage dans l’armée française et décède en 1918 lors d’un combat aérien.
Robert Benoist
Robert Benoist, né le 20 mars 1895, s’engage durant la Première Guerre mondiale comme pilote de chasse et éclaireur, avant de devenir pilote instructeur en 1918. Après une période active comme pilote, il reporte son enthousiasme pour la technique et la vitesse sur l’automobile. C’est donc en toute logique que le jeune homme talentueux commence par travailler sur des circuits modestes en 1920, d’abord comme pilote d’essai puis comme pilote d’usine. En 1924, Benoist accède soudain à la célébrité lorsqu’il gagne le Grand Prix de France sur la Delage 12 cylindres. En 1927, il domine les courses, gagne les quatre Grands Prix de France, d’Italie, de Grande-Bretagne et d’Espagne et devient le premier champion mondial automobile. À partir de 1934, Benoist s’occupe des engagements chez Bugatti comme directeur de course automobile, puis il remporte d’autres succès en tant que directeur des ventes pour Paris. Mais la griserie de la vitesse lui manque : entre 1934 et 1937, Benoist participe à nouveau à quelques courses, il remporte le classement général des 24 heures du Mans avec Jean-Pierre Wimille sur une Type 57 G Tank. Robert Benoist n’est pas seulement un technicien et pilote de course comblé de faveurs, c’est aussi un homme engagé. Durant la Seconde Guerre mondiale, il est l’une des têtes dirigeantes de la Résistance contre l’Allemagne nazie. Avec ses anciens collègues de Bugatti, William Grover-Williams et Jean-Pierre Wimille, il fonde un groupe de résistance. Son engagement courageux lui coûte la vie en 1944 – Benoist est assassiné le 12 septembre au camp de concentration de Buchenwald.
Bartolomeo Costantini
Bartolomeo ou « Meo » Costantini (1889-1941) se passionne dès son plus jeune âge pour la technique des véhicules et avant tout pour les avions. Durant la Première Guerre mondiale, il accède à la célébrité comme pilote virtuose et téméraire. Peu de temps après, il est séduit par les automobiles rapides. Entre 1914 et 1917, il court pour l’Aquila Italiana, puis fait une pause. Dès 1923, c’est avec Bugatti que Costantini remporte ses plus grands succès en matière de courses automobiles. En 1925 et en 1926, il gagne à la fois la Targa Florio en Sicile et le Grand Prix de France. Quand son meilleur ami, Giulio Masetti décède lors d’un accident à la Targa Florio de 1926, Costantini met un terme à sa carrière de pilote actif. Mais il ne fait pas ses adieux au sport automobile et dirige l’équipe d’usine de Bugatti les années suivantes. Ce n’est que neuf ans plus tard, en 1935, qu’il renonce à son poste et se retire.
Albert Divo
Albert Eugène Diwo, né le 24 janvier 1895 à Paris, commence à 13 ans une formation de mécanicien sur les navires. Sa compréhension très poussée des systèmes techniquement complexes l’amène à l’aviation, secteur encore balbutiant à l’époque. Diwo fait rapidement son chemin dans le monde de l’aéronautique, comme technicien puis comme pilote. Il s’engage dans la Première Guerre mondiale comme pilote, mais continue à travailler au sol comme mécanicien. La paix revenue, il ne veut pas dire adieu à la griserie de la vitesse et remporte quelques victoires comme pilote automobile à partir de 1919. En 1928, Diwo passe chez Bugatti, se fait désormais appeler Divo, ce qui en italien signifie « Star » et gagne, la même année et en 1929, la célèbre Targa Florio en Sicile sur une Type 35 B. Pendant des années, le Type 35 B a été considéré comme la voiture de course la plus mature et la plus fiable, avec un excellent rapport poids/puissance. En l’espace de 20 ans, Divo s’impose dans de nombreuses courses, parmi lesquelles six Grands Prix. Après la Seconde Guerre mondiale, il poursuit son travail dans le sport automobile comme directeur de course chez un fabricant d’huile. Albert Divo est mort en 1966 en France.
L’avion Bugatti Type 100 P
La fascination pour la vitesse reste intacte chez Ettore Bugatti, malgré les destins malheureux de plusieurs de ses amis. Lorsqu’en 1937, dix ans après la traversée de l’Océan atlantique de New York à Paris par Charles Lindbergh, le ministère français de l’aéronautique lui demande de développer un avion moderne pour une course aérienne, il se met au travail. La nouvelle machine doit avant tout être légère et rapide. Les premiers essais avec deux hélices contrarotatives, entraînées par deux moteurs placés l’un derrière l’autre, sont très prometteurs. Avec son avion Type 100 P, Bugatti veut battre le record de vitesse de l’époque de 709 km/h. L’armée française est enthousiasmée par l’idée d’un avion puissant et offre même une prime comme récompense si le record est battu. Car l’armée de l’air française aurait ainsi un avion plus perfectionné que l’armée de l’air allemande. Mais l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale met un terme à la construction de l’avion Bugatti. Des dizaines d’années plus tard seulement, une réplique du Type 100 P décolle effectivement.
Le lien entre l’aéronautique et les voitures de course particulièrement légères et intransigeantes existe chez Bugatti depuis plus de 110 ans. Et l’histoire n’est pas encore terminée.
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