Les fabricants de boîtiers éthanol homologués sont à la fête : en 2022, tous ont enregistré des ventes en forte hausse. Par rapport à 2021, le marché des kits de conversion à l’éthanol a connu une progression à trois chiffres.
Mais quels ont été précisément les modèles les plus équipés et quel âge avaient-ils ? L’argus s’est plongé avec NGC-Data® dans le fichier national du Système d’immatriculation des véhicules (SIV) pour une analyse fouillée et fondée sur les transformations de cartes grises en 2022. L’argus a également voulu vérifier l’efficacité des subventions proposées par certains territoires comme les Hauts-de-France, l’Ile-de-France ou Provence-Alpes-Côte d’Azur et présente son palmarès des régions.
Le montage d’un boîtier de conversion à l’éthanol n’est autorisé légalement en France que depuis le 30 novembre 2017. Il s’agit donc d’un marché encore jeune… et encore assez opaque. Ces transformations de véhicules n’apparaissent en effet pas dans les statistiques de vente classiques. Seuls quelques chiffres sont communiqués chaque année, mais ils demeurent imprécis et difficiles à vérifier. Pour y voir plus clair, L’argus est donc allé chercher dans le fichier national du Système d’immatriculation des véhicules (SIV) en partenariat avec NGC-Data® afin de savoir précisément quels modèles essence, hybrides ou GPL avaient profité d’une transformation de carte grise en 2022 après la pose d’un boîtier éthanol homologué. Une analyse qui réserve quelques surprises.
Quel est l’intérêt de convertir son véhicule à l’éthanol ?
Ce mélange d’alcool d’origine végétale et de sans-plomb affiche des tarifs à la pompe très bas, grâce à une fiscalité très avantageuse. Même s’il engendre une surconsommation et son prix a augmenté plus vite que celui de l’essence ces derniers mois, ce carburant peut donc permettre de faire des économies. Mais, pour respecter la loi, les automobilistes qui souhaitent l’utiliser doivent faire poser un boîtier homologué. Cet appareil se charge ensuite d’augmenter la durée d’injection du carburant pour s’adapter aux propriétés de l’éthanol. Pose comprise, cette modification peut exiger entre 700 et 1 500 € environ, en fonction de la complexité du moteur.
Des cartes grises pas toujours modifiées
Le nombre total de certificats d’immatriculation qui ont été modifiés l’an dernier a été le principal motif d’étonnement. Sans inclure les utilitaires, il se limite à 52 332 conversions, bien loin des 85 000 installations de boîtiers annoncées par la filière du bioéthanol lors de sa conférence annuelle. Un chiffre qui apparaît même en deçà des 53 902 kits qui auraient été posés par Flexfuel Energy Development, leader de ce secteur encore balbutiant au côté de Biomotors. L’entreprise a même donné accès à L’argus et NGC-Data® à des éléments certifiés par un grand cabinet d’expertise comptable pour attester la véracité de ses chiffres. D’après Jérôme Loubert, directeur commercial de Flexfuel Energy Development, cet écart proviendrait en grande partie de « la négligence des automobilistes, qui pour beaucoup ne réalisent pas la démarche (de transformer la carte grise après modification du véhicule) ». Pour Nicolas Kurtsoglou, ingénieur responsable carburants au Syndicat national des producteurs d’alcool agricole, et représentant de la filière du bioéthanol, ce chiffre marquerait même un progrès. « Il n’y a pas 100 % des automobilistes qui changent leur carte grise. Il y a trois ou quatre ans nous étions à un sur deux, voire un sur trois. Aujourd’hui, nous sommes plutôt à 66 % (en incluant les utilitaires cette fois), donc c’est très bien », indique-t-il.
Alexis Landrieu, directeur général de Biomotors, paraît toutefois plus dubitatif sur cette explication. « Nous avons des clients qui sont très attachés à ce que l’administratif soit en règle. C’est tout le but d’acheter un boîtier homologué, assure-t-il. Ils savent très bien qu’au contrôle technique c’est quelque chose qui est demandé. » Se présenter à cet examen sans avoir modifié sa carte grise peut, en effet, se solder par une contre-visite pour « non-concordance de l’énergie avec le document d’identification ».
Jérôme Loubert évoque également les délais administratifs, qui peuvent engendrer un temps de traitement des dossiers dépassant parfois les deux mois. Sans oublier un « frein financier suite à une incompréhension sur le prix du renouvellement des cartes grises ». Il fait ici allusion au nombre grandissant de régions ayant décidé de supprimer la gratuité pour les véhicules dits propres : hybrides, GPL, éthanol… Certains automobilistes craindraient donc de devoir payer une forte somme, alors que ce durcissement ne concerne que les éventuels futurs propriétaires, en cas de revente, ou les acheteurs en neuf. Pour une simple transformation, le coût reste fixé à 13,76 € sur tout le territoire.
Une forte progression sur les véhicules âgés
Il y a malgré tout un point qui met tout le monde d’accord : par rapport à 2021, le marché des kits de conversion à l’éthanol a connu une progression à trois chiffres. La filière avait évoqué un triplement des ventes lors de sa conférence annuelle. Mais, en se basant sur les certificats d’immatriculation, elles auraient même quadruplé, passant de 13 093 à 52 393 cartes grises modifiées entre 2021 et 2022. Une hausse spectaculaire, bien que ce chiffre demeure assez faible dans l’absolu. Sur la même période, par exemple, cent fois plus d’immatriculations de véhicules d’occasion sont dénombrées. La grande majorité des automobilistes semble donc encore frileuse à l’idée de passer à l’éthanol, que ce soit par peur d’endommager son moteur ou à cause des coûts d’installation, qui peuvent atteindre 1 500 € sur certains modèles. Autre fait notable : cette embellie profite surtout aux véhicules les plus anciens. En effet, 38 % de ces modifications ont porté sur des modèles de plus de 8 ans. Cette tranche d’âge enregistre une progression impressionnante de 381 % et se classe désormais en tête.
Elle ravit ainsi la première place aux exemplaires de 2 à 5 ans qui ont dû se « contenter » d’une augmentation de 241 % des installations. La troisième marche du podium est occupée par les véhicules de 5 à 8 ans. En revanche, le montage de kit sur des voitures de moins de 2 ans demeure marginal : moins de 4 % du total. Les automobilistes semblent donc réticents à l’idée de modifier un véhicule encore couvert par la garantie légale de deux ans, et il est difficile de leur donner tort. Même si la loi oblige les fabricants de boîtiers à couvrir les pièces en contact avec l’éthanol, ils ne doivent prendre en charge que les problèmes réellement engendrés par cette transformation. De nombreux défauts risquent donc de se solder par une querelle d’experts entre ces entreprises et les constructeurs automobiles, chacun se renvoyant la responsabilité. De quoi redouter une immobilisation prolongée du véhicule.
Dacia et Ford derrière le trio français
Au premier abord, le classement par marque peut sembler ultra-classique. Renault devant Peugeot et Citroën, c’est un podium conforme à celui des ventes de modèles d’occasion. Mais le reste du palmarès comporte quelques petites surprises, comme la quatrième place de Dacia. Si la marque roumaine était troisième sur le marché du neuf en 2022, elle ne figurait même pas dans le top 10 pour les transactions de seconde main. Ses acheteurs, au budget parfois limité, semblent ainsi plus sensibles que la moyenne aux arguments des kits de conversion à l’éthanol qui promettent de faire des économies à la pompe.
Le coût d’installation de ces boîtiers, qui modifient la durée d’injection pour s’adapter au moindre pouvoir calorifique de l’éthanol, ne les rebute manifestement pas. D’autant que beaucoup de propriétaires ont tendance à garder longtemps leur véhicule, ce qui laisse le temps de « rentabiliser » la modification.
La 5e position de Ford tranche aussi avec son 8e rang dans le classement des ventes de voitures d’occasion. Cette fois, c’est sans doute la gamme Flexifuel proposée en neuf par le constructeur qui a joué un rôle. Même si ce n’est pas vraiment justifié, elle peut donner l’impression que les productions de la marque à l’ovale accepteront mieux l’éthanol que d’autres. À noter que c’est Porsche qui enregistre la plus forte progression : + 2 067 % ! Mais la firme allemande termine seulement 31e avec 65 transformations.
Les citadines reines de la conversion
Côté modèles, la première place de la Renault Clio semblait inévitable. Même si elle s’est fait dépasser en neuf par la Peugeot 208 ces dernières années, la citadine au losange a gardé le même nom depuis beaucoup plus longtemps que sa concurrente et a souvent été en tête des ventes dans l’Hexagone. Toutes générations confondues, le nombre d’exemplaires qui circulent sur les routes françaises est donc colossal. Pour la Clio, les 4 312 exemplaires convertis à l’éthanol en 2022 ne représentent ainsi qu’une goutte d’eau face aux 341 599 transactions enregistrées en occasion. Mais c’est presque deux fois plus que les 2 277 Citroën C3 (3e ) et 2 212 Peugeot 208 (4e ) transformées. Un résultat avant tout porté par la quatrième génération de la petite Renault, car les modèles ayant entre 2 et 5 ans représentent plus d’un tiers de ces 4 312 transformations.
Comme pour les marques, c’est plutôt Dacia qui étonne. Sa Sandero termine ici 2e , à 1 094 exemplaires de la lauréate. Un sacré contraste avec le 18e rang qu’elle occupait l’an passé sur le marché de la seconde main, avec 280 238 unités de retard sur la Clio ! Cette surreprésentation explique même en grande partie les chiffres du constructeur roumain, dont les autres modèles sont tous absents du top 20. La Logan termine 23e et il faut aller chercher le Duster au 42e rang, malgré ses excellentes ventes. De manière plus générale, d’ailleurs, les SUV ne font pas partie des modèles les plus convertis. Le mieux classé d’entre eux, le Renault Captur, est 8e avec 1 160 transformations recensées, juste devant son grand rival le Peugeot 2008. La 308, première compacte, est encore plus loin, à la 16e position, et le Scénic, premier monospace, arrive 44e . Quant aux familiales, elles sont absentes du top 50. Les kits de conversion intéressent donc avant tout les acheteurs de citadines… même si les chiffres demeurent faibles dans l’absolu : dès la 12e position, occupée par la Toyota Yaris, les chiffres tombent sous la barre des 1 000 modifications de carte grise par an.
Les chiffres exclusifs des régions où le plus de boîtiers ont été installés en 2022
Comment faire un geste pour les automobilistes en ces temps de prix des carburants très élevés ? Quatre régions ont dégainé la même solution : aider à payer la transformation d’un véhicule pour qu’il roule au superéthanol E85, avec une partie de l’investissement pris en charge par l’Ile-de-France, les Hauts-de-France et la Provence-Alpes-Côte d’Azur. Une liste dont faisait également partie le Grand-Est jusqu’au 31 janvier 2022. L’argus a voulu vérifier l’efficacité de ces subventions grâce aux données de NGC-Data®.
Palmarès des régions
C’est dans le Grand-Est qu’il y a eu le plus grand nombre de certificats d’immatriculation modifiés après un passage à l’éthanol l’an dernier : 8 445, soit environ 16 % du total. La présence d’une aide régionale qui se terminait en fin d’année dernière a sans doute motivé bon nombre de ces habitants à passer le cap rapidement. Mais la palme de la plus grosse progression revient à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui se classe deuxième. Le nombre de conversions y a été multiplié par 7,5, passant de 981 en 2021 à 7 361 en 2022. Cette fois, c’est sans doute le doublement du « chèque transition énergie » entre le 1er mars et le 31 juin 2022 qui a joué le rôle d’accélérateur. Durant cette brève période, 500 € étaient accordés pour le montage d’un boîtier homologué, au lieu de 250 € en temps normal. La troisième position montre toutefois que les subventions ne font pas tout. Elle est en effet occupée par l’Occitanie, qui ne propose aucune aide de ce type. Mais c’est aussi dans cette région que l’on trouve le plus grand nombre de stations distribuant de l’éthanol en France.
Au quatrième rang, on retrouve une collectivité locale « généreuse » : les Hauts-de-France. En revanche, il faut descendre à la sixième place pour trouver l’Ile-de-France, qui offre pourtant 500 € en cas de passage à l’éthanol depuis le 1er juillet dernier. En 2022, seuls 4 711 automobilistes ont profité de ce coup de pouce. C’est bien loin de l’objectif de « 30 000 boîtiers installés d’ici à la fin de l’année […] soit 15 millions d’euros d’aide » qui avait été annoncé par la présidente de la région, Valérie Pécresse, lors de la mise en place de ce dispositif. Il est donc aisé de comprendre pourquoi cette subvention a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2023, alors qu’elle devait initialement s’arrêter un an plus tôt.
Néanmoins, pour les territoires qui ferment la marche dans le classement, c’est davantage le manque de stations-service proposant de l’E85 qui semble en cause. La Corse, bonne dernière, n’en dénombre même aucune. Les 3 automobilistes qui se sont convertis à l’éthanol sur l’île de Beauté risquent donc d’avoir du mal à se ravitailler. Mais, en janvier 2023, chacune des cinq autres régions qui figurent en bas du palmarès comptait aussi moins de 200 établissements distribuant ce carburant « vert ». Un nombre bien éloigné des 455 pompes recensées en Occitanie.
Les modalités de l’étude
Les statistiques recensent uniquement les transformations de cartes grises. Elles ne tiennent donc pas compte des automobilistes qui auraient fait poser un kit de conversion homologué sans accomplir cette démarche administrative, obligatoire pour éviter une contre-visite au contrôle technique et pour compléter les différents dossiers de demande d’aides régionales. Cela explique au moins partiellement pourquoi le chiffre de 52 332 véhicules particuliers est atteint, alors que la filière du bioéthanol avait évoqué environ 85 000 boîtiers installés en 2022 lors de sa conférence annuelle. Les possibles retards dans le traitement des dossiers ont également pu engendrer un décalage.
ÉTUDE EXCLUSIVE L’ARGUS ET NGC-DATA
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