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vendredi, mai 2, 2025
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    Batteries : L’Europe Face à un Retard « Irrattrapable » sur la Chine ?

    Yann Vincent, directeur général d’Automotive Cells Company (ACC), coentreprise franco-allemande dédiée à la production de batteries pour véhicules électriques, a livré un constat sans détour lors de son audition à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’une commission d’enquête sur les freins à la réindustrialisation de la France.

    « Le retard sur les Chinois ? Peut-être que nous pourrions le combler, mais cela prendrait un temps infini. C’est déplaisant, mais nous devons devenir les élèves, et ils sont désormais les professeurs », a-t-il déclaré. Ce mea culpa met en lumière les défis colossaux auxquels l’Europe fait face pour rattraper la Chine dans la course aux batteries, un secteur stratégique pour la transition énergétique et la souveraineté industrielle. Cet article explore les raisons de ce retard, les efforts européens pour y remédier, et les perspectives d’une réindustrialisation ambitieuse mais semée d’embûches.

    Un Retard Structurel Face à la Domination Chinoise

    La Chine domine aujourd’hui le marché mondial des batteries lithium-ion, essentielles aux véhicules électriques (VE). Avec environ 80 % de la production mondiale de cellules et six des dix plus grands fabricants, dont CATL et BYD, le pays a bâti une avance considérable grâce à des investissements massifs initiés dès les années 2000. En 2022, les entreprises chinoises représentaient 56 % du marché des batteries pour VE, suivies par la Corée du Sud (26 %) et le Japon (10 %), tandis que l’Europe peinait avec moins de 5 % de part de marché mondiale.

    Ce leadership s’explique par plusieurs facteurs :

    • Vision stratégique précoce : Dès 2009, la Chine a identifié les batteries et les VE comme des secteurs prioritaires, offrant des subventions massives, des terrains à bas coût, et des incitations fiscales pour les constructeurs utilisant des batteries locales. Cela a permis à CATL de devenir le leader mondial.
    • Maîtrise de la chaîne de valeur : La Chine contrôle 80 % du marché des composants de batteries (cathodes, anodes, électrolytes) et domine l’extraction et le raffinage des matières premières comme le lithium et le nickel. En Europe, aucune raffinerie de lithium n’existait encore en 2023, et 90 % du raffinage mondial se faisait en Asie.
    • Économies d’échelle : La surcapacité chinoise, avec une production dépassant trois fois la demande domestique, a fait chuter les prix des cellules LFP (lithium fer phosphate) à 55 $/kWh, contre 110 $/kWh pour les cellules NMC européennes.

    En comparaison, l’Europe a tardé à réagir. Les constructeurs automobiles, comme Volkswagen, BMW ou Mercedes, ont misé sur les moteurs thermiques jusqu’au début des années 2010, tandis que BYD lançait son premier VE dès 2008. Ce retard stratégique, combiné à une dépendance aux fournisseurs asiatiques, a fragilisé l’industrie européenne face à la transition électrique.

    Les Efforts Européens : Une Ambition Freinée par des Obstacles

    Face à cette domination, l’Union européenne a lancé en 2017 la European Battery Alliance (EBA), une initiative visant à créer une chaîne de valeur des batteries en Europe, de l’extraction des matières premières au recyclage. L’objectif : couvrir 90 % des besoins en batteries d’ici 2030 et réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine. Des investissements massifs ont suivi, avec 180 milliards d’euros annoncés pour le développement de gigafactories en Europe.

    Les Progrès de l’Automotive Cells Company (ACC)

    ACC, fondée en 2020 par Stellantis, TotalEnergies et Mercedes-Benz, incarne cette ambition. Basée en France, Allemagne et Italie, l’entreprise vise une capacité de production de 120 GWh d’ici 2030, soit environ 2,5 millions de batteries par an. En mai 2024, sa première gigafactory à Douvrin (Hauts-de-France) a commencé à produire des batteries pour le Peugeot e-3008, marquant une étape clé pour la « Battery Valley » française. Deux autres usines sont prévues : à Kaiserslautern (Allemagne) en 2025 et à Termoli (Italie) d’ici 2027, soutenues par un financement de 4,4 milliards d’euros obtenu en février 2024 auprès de banques européennes, dont Deutsche Bank et BNP Paribas .

    ACC mise sur une stratégie de souveraineté industrielle et de durabilité, avec des batteries à faible empreinte carbone (jusqu’à 60 % d’émissions en moins par rapport aux chaînes d’approvisionnement chinoises si l’électricité renouvelable est utilisée) et un modèle circulaire intégrant recyclage et réutilisation. Cependant, Yann Vincent a reconnu que la compétitivité face à la Chine reste un défi majeur, notamment sur les coûts et les technologies LFP, où les fabricants chinois excellent.

    Les Échecs et les Limites

    Malgré ces efforts, l’Europe peine à combler l’écart. Le cas de Northvolt, fleuron suédois considéré comme le meilleur espoir européen, illustre ces difficultés. En 2024, Northvolt a déposé le bilan aux États-Unis après avoir accumulé 5,8 milliards de dollars de dettes, plombé par des problèmes de qualité (BMW a annulé une commande de 2 milliards d’euros) et une incapacité à concurrencer les prix chinois. Cette faillite a réduit la capacité de production européenne détenue par des entreprises locales à seulement 30 % du pipeline prévu pour 2030, laissant la part belle aux acteurs asiatiques implantés en Europe.

    D’autres projets européens, comme Britishvolt au Royaume-Uni, se sont effondrés avant même leur démarrage, et plus de la moitié des gigafactories annoncées risquent des retards ou des annulations sans un soutien gouvernemental renforcé. Les obstacles incluent :

    • Coûts élevés : Construire une gigafactory coûte des milliards d’euros, et les matières premières comme le lithium et le nickel restent chères (60 000 $/tonne pour le carbonate de lithium en 2023).
    • Pénurie de compétences : L’Europe manque d’ingénieurs spécialisés pour la production de batteries, un domaine où la Chine bénéficie d’une expertise de longue date.
    • Concurrence géopolitique : Les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act (369 milliards de dollars de subventions vertes), attirent des investissements européens, comme ceux de Freyr Battery, tandis que la Chine inonde le marché avec des batteries à bas prix.

    Une Dépendance Croissante aux Acteurs Chinois

    Ironiquement, l’Europe, tout en cherchant l’autonomie, s’appuie de plus en plus sur l’expertise chinoise. Des entreprises comme CATL, leader mondial, construisent des usines en Europe (Allemagne, Hongrie) pour produire localement, profitant de subventions européennes généreuses (2 milliards d’euros en Hongrie). En France, Envision AESC (Chine) investit 2 milliards d’euros dans une gigafactory à Douai pour fournir Renault, et des coentreprises comme Renault-Minth à Ruitz produisent des boîtiers de batteries avec un savoir-faire chinois. Ces partenariats, bien que bénéfiques pour l’emploi et la production locale, renforcent la dépendance technologique vis-à-vis de la Chine, contredisant l’objectif de souveraineté.

    Les Freins à la Réindustrialisation : Un Diagnostic Sans Fard

    Lors de son audition, Yann Vincent a souligné plusieurs freins structurels à la réindustrialisation européenne dans le secteur des batteries :

    • Compétitivité : Les coûts de production européens, alourdis par des normes environnementales strictes et des salaires plus élevés, ne peuvent rivaliser avec les prix chinois.
    • Stratégie technologique : L’Europe a misé sur les batteries NMC (nickel-manganèse-cobalt), plus coûteuses, tandis que la Chine domine le marché des LFP, moins chères et adaptées aux VE grand public.
    • Concurrence internationale : Les subventions américaines et la surcapacité chinoise détournent les investissements et saturent le marché, rendant les projets européens moins viables.

    Ces défis s’inscrivent dans un contexte plus large de réindustrialisation. En France, malgré la création de 80 000 emplois industriels nets depuis 2017 et des initiatives comme France 2030, le pays reste à la traîne, classé 22e sur 27 en Europe pour la part de l’emploi industriel. La « Battery Valley » des Hauts-de-France, avec des projets comme ACC à Douvrin ou Verkor à Dunkerque, incarne un espoir, mais les progrès sont lents face à la concurrence mondiale.

    Perspectives : Élèves Aujourd’hui, Professeurs Demain ?

    Malgré ce constat pessimiste, l’Europe n’est pas condamnée à l’échec. Des solutions existent pour réduire l’écart avec la Chine :

    • Renforcer les subventions : Transport & Environment appelle à la création d’un fonds européen pour les batteries, financé par une dette commune, pour concurrencer l’Inflation Reduction Act américain. La France et l’Allemagne ont déjà sécurisé des projets grâce à des aides publiques généreuses.
    • Investir dans la recherche : Développer des technologies de nouvelle génération, comme les batteries solides ou sodium-ion, pourrait permettre à l’Europe de reprendre l’avantage. ACC consacre une part de son financement à la R&D pour ces innovations.
    • Protéger le marché : Instaurer des tarifs douaniers sur les importations de batteries chinoises, comme le suggère Transport & Environment, pourrait protéger les fabricants européens tout en encourageant les coentreprises locales.
    • Développer la chaîne d’approvisionnement : Des projets de raffinage de lithium en France et en Allemagne, ainsi que des mines comme celle de Keliber en Finlande, pourraient réduire la dépendance aux matières premières asiatiques d’ici 2030.

    Cependant, Yann Vincent insiste sur l’humilité nécessaire : l’Europe doit apprendre des leaders chinois, notamment en matière de rapidité d’exécution et d’optimisation des coûts. Les partenariats avec des acteurs comme CATL ou Envision, s’ils sont bien encadrés, peuvent accélérer le transfert technologique tout en créant des emplois locaux.

    Un Défi de Long Terme

    Le constat de Yann Vincent, bien que brutal, reflète une réalité incontournable : l’Europe accuse un retard significatif face à la Chine dans le secteur des batteries, résultat d’un manque d’anticipation stratégique et d’une concurrence géopolitique féroce. Pourtant, des initiatives comme l’European Battery Alliance et des acteurs comme ACC montrent une volonté de relever le défi, avec des projets concrets et des investissements massifs. La « Battery Valley » française, les gigafactories en construction, et les ambitions de souveraineté énergétique sont des signaux encourageants, mais la route reste longue.

    Pour combler l’écart, l’Europe devra combiner subventions ciblées, innovation technologique, et une approche pragmatique intégrant des partenariats avec la Chine sans sacrifier ses ambitions d’autonomie. Comme le souligne Vincent, devenir « élèves » des leaders chinois aujourd’hui pourrait permettre à l’Europe de redevenir « professeur » demain – à condition d’agir vite et de manière coordonnée. Dans cette course mondiale, la réindustrialisation européenne est plus qu’un enjeu économique : c’est une question de survie pour son industrie automobile et sa transition énergétique.

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    Faris Bouchaala
    Faris Bouchaala
    Journaliste Automobile - Rédacteur en Chef Adjoint
    Grand passionné d’automobile depuis mon enfance, mon objectif au quotidien était de trouver le moyen d'arracher le volant à mon père. Très peu de gens ont la possibilité de transformer leur passion en une carrière, et il se trouve que je suis l'un de ces quelques privilégiés. J’ai rejoint la presse spécialisée en 2010, après un parcours totalement loin du domaine, car au final c’est la passion qui l’emporte.

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