Porsche 356 SC - Alfredo Haberli
Porsche 356 SC - Alfredo Haberli

Comment obtenir un maximum d’effets avec peu de moyens ? C’est la question qu’Alfredo Häberli se pose dans son travail. Le designer suisse vient de transformer une Porsche 356 SC en une subtile art car. Un hommage à l’art de la réduction.

« J’ai longtemps été réticent à l’idée d’acheter une Porsche », dit Alfredo Häberli en riant. « C’est un choix qui semble tellement évident. En même temps, la philosophie puriste de la marque m’a toujours fasciné. Savoir ce que l’on peut comprimer et réduire pour obtenir le résultat le plus puissant possible est une question qui ne me quitte pas, comme designer. » Häberli est le concepteur de produits le plus connu de Suisse. Ses projets créatifs, souvent ludiques, ont reçu les plus grands prix de design, ses objets artistiques du quotidien ont été exposés dans des musées. Pourtant, son atelier de Zurich-Seefeld renferme un nombre surprenant de modèles, de dessins et d’images de voitures. « Cette fascination a commencé dès mon enfance. J’ai grandi à Córdoba et j’habitais à trois kilomètres d’un circuit de course, l’Autódromo Oscar Cabalén. Mes parents tenaient un restaurant à proximité, où les pilotes et les mécaniciens se retrouvaient après les courses. Enfants, nous pouvions donc nous déplacer librement dans la voie des stands et je n’ai pas tardé à savoir reconnaître chaque voiture de course au bruit de son moteur. »

En 1977, Häberli a quitté l’Argentine pour venir en Suisse avec ses parents. Il a étudié le design industriel à la Haute école de design, a conçu des produits très divers pour des entreprises comme BMW, Camper, Iittala, Kvadrat, Vitra et Zanotta. Bien sûr, depuis, il a aussi possédé des voitures intéressantes – la Ferrari 456 GT à l’élégance toute en retenue, la Saab 900 T cabriolet d’une originalité iconique. Et puis sa résistance aux voitures de sport de Zuffenhausen a fini par céder. Aujourd’hui, Alfredo Häberli conduit deux Porsche classiques, un élégant modèle 911 G de 1977, d’une couleur assez exceptionnelle, le Platine Diamant, avec du velours et du liège dans l’habitacle. Et une élégante 928 S4 vert Oak de 1991, aux sièges en cuir vert Sherwood. « Elle a une certaine légèreté que l’on ressent en conduisant ou en regardant simplement la carrosserie. Porsche a réussi à définir une forme de base qui traverse le temps, et à y rester fidèle. C’est aussi ce type d’originalité que je recherche comme designer. » Tôt ou tard, la passion de Häberli pour Porsche allait aussi s’exprimer dans son travail. C’est fait, il vient de transformer une Porsche 356 SC de 1964 en une surprenante art car. 

« Je voulais me promener avec la courbe, comme disait Paul Klee. »

Alfredo Häberli

Il a eu l’idée de ce projet avec Sascha Leardi, directeur du Centre Porsche de Zurich, où Alfredo Häberli avait découvert sa 911. La Porsche 356 SC s’est imposée comme manifestation la plus originelle de la philosophie et du langage stylistique puristes. « J’ai d’abord pensé à un motif multicolore et psychédélique en hommage à la Porsche 356 que Janis Joplin avait peinte dans les années 1960. » Häberli feuillette son carnet de croquis, montre comment il a joué avec les lignes de la carrosserie, en reprenant de plus en plus les formes existantes, et comment le projet est finalement devenu de plus en plus minimaliste au fil des pages. « J’ai un grand respect pour le travail de Ferry Porsche. La Porsche 356 a quelque chose de très monolithique. Je m’en suis rendu compte lorsque nous avons démonté la voiture pour la peindre. En fait, le corps de la carrosserie n’est interrompu que par quatre orifices : le capot avant, le capot moteur à l’arrière et les deux portes. Il y a très peu d’éléments, pratiquement aucun joint, juste quelques lignes sobres, mais tendues, comme dans une sculpture abstraite de Hans Arp. »

« J’ai un grand respect pour le travail de Ferry Porsche. »

Alfredo Häberli se plonge de plus en plus dans la poésie de la forme Porsche, dessine les ombres du modèle à l’échelle à la lueur de sa lampe de bureau, suit du doigt les lignes et les contours pour s’imprégner de l’esthétique de la carrosserie. « Je voulais me promener avec la courbe, comme disait Paul Klee. » Au lieu de couleurs saturées, il choisit trois teintes pastel monochromes qui ne se détachent de la carrosserie ivoire qu’au deuxième ou au troisième regard. Cette approche contraste fortement avec les art cars bariolées, conçues par ordinateur, qui se disputent sur Instagram et TikTok la maigre attention d’utilisateurs faisant inlassablement défiler leur écran. La création de Häberli tient plus du haïku que de la chanson hyperpop. « Obtenir un maximum d’effets avec peu d’éléments, c’est aussi ça que je recherche comme designer. C’est ce que j’appelle l’économie des moyens. »

Cette philosophie se retrouve également dans la réalisation du projet : au lieu de peindre la Porsche ou de la recouvrir d’un film, Alfredo Häberli et son assistant Dominic Plüer appliquent la peinture au pinceau, cherchant à appréhender le corps de la carrosserie par le toucher. « Si les traits ont des directions opposées, c’est parce que j’ai cherché le coup de pinceau naturel de la forme, des pièces métalliques. D’autres traits contrastent à 90 degrés, ils sont décalés les uns par rapport aux autres. Ça permet de faire ressortir la forme des différentes pièces. » Le travail est minutieusement planifié, concerté d’un bout à l’autre. C’est une chorégraphie complexe. Chaque trait doit être bien placé, aucune reprise n’est prévue. « Ce travail demandait tant de concentration qu’au bout de quelques heures, nous étions épuisés. » C’est un processus de création vraiment très intense. Et le résultat est fascinant. Plus on s’intéresse à la Porsche 356 d’Alfredo Häberli, plus on s’en approche, plus elle nous échappe.

Séance photo avec le designer et son œuvre sur le Toni-Areal de Zurich-Ouest. Autrefois, l’usine fabriquait des produits laitiers.

Plus tard, des clubs comme la « Tonimolkerei » et la « Dachkantine » ont utilisé cette friche urbaine comme piste de danse. Depuis 2014, la Haute école des arts de Zurich (ZHdK) y a son siège. Le bâtiment abrite également le Museum für Gestaltung, plus grand musée suisse de design et de communication visuelle, pour lequel Alfredo Häberli développait déjà des concepts d’exposition lorsqu’il était étudiant, et où sa première rétrospective a été présentée en 2008. Si les architectes EM2N ont complètement transformé l’intérieur de l’ancienne laiterie, en revanche, la rampe d’accès en béton sur laquelle les camions-citernes montaient autrefois sur le toit du bâtiment a été conservée. La spirale en suspension libre de cette rampe est aujourd’hui le podium sur lequel la Porsche 356 défile pour la caméra. C’est une chaude journée d’été, le soleil est éblouissant, les motifs en filigrane de la carrosserie sont à peine visibles.

Pas facile pour le photographe engadinois Andrea Klainguti, qui doit capturer le jeu subtil des couleurs et des structures. Puis, les ombres se mettent en mouvement, comme sous une énorme lampe de bureau, elles divisent les rampes en motifs clairs et sombres chaque fois renouvelés, encadrant la Porsche comme un passe-partout pour l’appareil photo de Klainguti, avant de poursuivre leur chemin. Lorsque le soleil disparaît derrière les immeubles voisins, la voiture de sport blanche et compacte change elle aussi de caractère : les surfaces blanches qui reflétaient la lumière éclatante comme des auvents font soudain apparaître de nouvelles formes. Le jaune pâle et le bleu pastel gagnent en force, font ressortir d’autres éléments de la carrosserie, soulignent l’élan de la silhouette, confèrent à ce projet vieux de 60 ans une tension nouvelle et contemporaine. Et plus on s’approche de la Porsche, plus on voit la structure des coups de pinceau, les petites irrégularités qui s’harmonisent si bien avec la corporéité sculpturale de la carrosserie. 

Alfredo Häberli se penche par-dessus le garde-corps de la rampe supérieure, il regarde avec satisfaction la Porsche qui, plus bas, semble flotter en apesanteur sur sa courbe en béton devant la skyline de Zurich. « Je ne cesse de tourner autour du thème de la légèreté, je suis toujours à la recherche de la perfection imparfaite. Susciter des émotions fortes avec peu de lignes, c’est mon objectif majeur. » Cette exigence se retrouve également dans le titre que le designer a donné à son art car : Le poids de la légèreté.

« Pour moi et pour mon travail, le plus beau des compliments », nous confie Alfredo Häberli dans son atelier à propos des verres, assiettes, tasses, canapés et fauteuils qu’il a créés, « c’est quand les gens ont mes objets chez eux, quand ils vivent avec eux. Pour moi, c’est comme si je gagnais un Oscar. » Pour sa Porsche 356 SC artistique, Häberli souhaite aussi un propriétaire qui partage son admiration du purisme et de l’art de la réduction de Ferry Porsche. En décembre, l’art car sera vendue aux enchères à Zurich par la maison Koller, une partie des recettes sera reversée à l’organisation Cancer de l’enfant en Suisse.

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