Un freinage soudain, brutal, sans obstacle visible. Des centaines d’automobilistes affirment avoir vécu ce scénario inquiétant. Certains y ont laissé leur carrosserie, parfois même plus. L’été 2025 a vu se multiplier ces récits, au point que le ministère des Transports a ouvert une enquête. En ligne de mire : les systèmes de freinage automatique d’urgence. Mais pour des experts, le vrai coupable pourrait être ailleurs — dans un recalibrage défaillant des capteurs Adas.
Une affaire qui remonte jusqu’à l’État
Le 15 août, le ministère a annoncé l’ouverture d’investigations. La décision découle d’une pétition publiée sur le site de l’Assemblée nationale, après un échange entre une victime et le SSMVM (Service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs). Les constructeurs et équipementiers seront interrogés. Mais dans les ateliers de l’après-vente, certains spécialistes parlent déjà d’un problème bien connu.
Tout est parti de témoignages publiés par Le Progrès, à la suite de l’accident de Joanna Peyrache, en avril 2025. Plus de 250 conducteurs l’ont ensuite contactée. Tous disent avoir subi un freinage intempestif. Peugeot, Citroën, Skoda, mais aussi d’autres marques : la liste est longue, et un point commun se dessine. Les véhicules incriminés embarquent un freinage automatique d’urgence.
Le récit d’une automobiliste, et une vague de témoignages
Sur l’A40, entre 110 et 130 km/h, la Peugeot 208 de Joanna s’arrête d’un coup. Trois secondes suffisent. La voiture derrière percute, la sienne pivote à 180 degrés. Les dégâts matériels sont lourds, mais les passagers s’en sortent avec des blessures légères.
La conductrice raconte ensuite avoir reçu « des centaines de témoignages » d’autres usagers. Elle précise au Parisien : « Tous concernent des véhicules récents, entre 2017 et 2025. » La parole s’est libérée. Et avec elle, une suspicion grandissante sur l’origine des défaillances.
Quatre causes possibles, une principale suspecte
Interrogé, Christophe Theuil, vice-président de la Fédération française de l’expertise automobile (FFEA), énumère plusieurs hypothèses : conditions météo défavorables, limites technologiques, bugs logiciels ou interactions entre systèmes. Mais pour lui, la piste la plus sérieuse reste le recalibrage des capteurs Adas.
Ces capteurs – caméras, radars, lidars – guident le calculateur. Ils doivent être précis au millimètre près. Une pluie battante ou un soleil rasant peut les perturber. Mais une opération mal réalisée après un changement de pare-brise ou une géométrie faussée peut surtout tout fausser. Le moindre décalage devient alors une source d’erreur.
📖 Lire aussi :
Quand le recalibrage est mal fait
« 80 % du problème viendrait de là », tranche Theuil. Son constat rejoint celui d’Éric Blaiseau, référent technique mobilité du Cesvi. « Par expérience, tous les recalibrages ne sont pas faits dans les règles de l’art. »
Or, l’opération est exigeante. Le capteur doit être réaligné par rapport à l’axe de poussée du véhicule, et ce, à chaque remplacement de pare-brise équipé d’une caméra ou après une géométrie. Certains ateliers, indépendants ou franchisés, ne possèdent pas les équipements adaptés. Les services mobiles, eux, seraient carrément incapables de procéder correctement.
Entre responsabilité et prudence
Prouver qu’un capteur Adas est responsable d’un accident reste pourtant très compliqué. « Tant que nous n’avons pas accès à la boîte noire obligatoire des véhicules récents, nous n’avons pas de certitude », souligne Theuil. Les témoignages ne suffisent pas toujours.
Les deux experts racontent aussi des manquements graves observés dans certains ateliers. Ils plaident pour plus de pédagogie et de contrôle. Blaiseau recommande de choisir un réparateur formé et équipé, capable de délivrer une attestation de recalibrage, comme le pratique Carglass. Il imagine même que les Adas pourraient un jour être intégrés au contrôle technique.
Un sujet sensible à manier avec précaution
Mais en attendant, tous appellent à la prudence. L’exemple des régulateurs de vitesse, critiqués il y a quelques années, reste dans les mémoires. On parlait alors de pannes. En réalité, c’était souvent une mauvaise compréhension des conducteurs face à une technologie nouvelle.
La même question plane aujourd’hui sur ces « freinages fantômes ». S’agit-il de réels défauts, ou d’une méfiance amplifiée par les circonstances ? L’enquête ouverte par l’État devra trancher. Et dire enfin si le problème se cache dans la machine, ou dans son entretien.