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vendredi, mai 23, 2025
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    Batteries : L’Europe Face à un Retard « Irrattrapable » sur la Chine ?

    Yann Vincent, directeur général d’Automotive Cells Company (ACC), coentreprise franco-allemande dédiée à la production de batteries pour véhicules électriques, a livré un constat sans détour lors de son audition à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’une commission d’enquête sur les freins à la réindustrialisation de la France.

    « Le retard sur les Chinois ? Peut-être que nous pourrions le combler, mais cela prendrait un temps infini. C’est déplaisant, mais nous devons devenir les élèves, et ils sont désormais les professeurs », a-t-il déclaré. Ce mea culpa met en lumière les défis colossaux auxquels l’Europe fait face pour rattraper la Chine dans la course aux batteries, un secteur stratégique pour la transition énergétique et la souveraineté industrielle.

    Un Retard Structurel Face à la Suprémacie Chinoise

    À l’heure actuelle, la Chine domine le marché mondial des batteries lithium-ion, essentielles pour les véhicules électriques (VE). Le pays, qui génère près de 80 % de la production mondiale de batteries et abrite six des dix principaux fabricants, y compris CATL et BYD, a consolidé un avantage notable grâce à d’importants investissements initiés dès les années 2000. En 2022, les entreprises chinoises ont contrôlé 56 % du marché des batteries pour voitures électriques, tandis que la Corée du Sud a suivi de près avec une part de 26 %, et le Japon a représenté 10 %. De son côté, l’Europe peinait à s’imposer sur ce marché, n’ayant pas plus de 5% de part de marché mondial.

    Comment s’explique ce leadership :

    Dès 2009, la Chine a identifié les batteries et les VE comme une priorité, et cela en offrant des subventions massives, des terrains à faible coût, et des encouragement fiscales pour les constructeurs automobile optant pour des batteries locales. Cela a permis à CATL de devenir le leader mondial.

    De plus, la Chine contrôle 80 % du marché des composants de batteries (cathodes, anodes, électrolytes) et domine l’extraction et le raffinage des matières premières comme le lithium et le nickel. En Europe, aucune raffinerie de lithium n’existait encore en 2023, et 90 % du raffinage mondial se faisait en Asie.

    Économies d’échelle : La surcapacité chinoise, avec une production dépassant trois fois la demande domestique, a fait chuter les prix des cellules LFP (lithium fer phosphate) à 55 $/kWh, contre 110 $/kWh pour les cellules NMC européennes.

    Parallèlement, les constructeurs automobiles européens ont tardé à réagir. Volkswagen, BMW ou Mercedes, ont misé sur les moteurs thermiques jusqu’au début des années 2010, tandis que BYD lançait son premier VE en 2008. Ce retard stratégique, combiné à une dépendance aux fournisseurs asiatiques, a fragilisé l’industrie européenne face à la transition électrique.

    Les Efforts Européens : Une Ambition Freinée par des Obstacles

    Face à cette domination, l’Union européenne a lancé en 2017 la European Battery Alliance (EBA), une initiative visant à créer une chaîne de valeur des batteries en Europe, de l’extraction des matières premières au recyclage. L’objectif : couvrir 90 % des besoins en batteries d’ici 2030 et réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine. Des investissements massifs ont suivi, avec 180 milliards d’euros annoncés pour le développement de gigafactories en Europe.

    Les Progrès de l’Automotive Cells Company (ACC)

    ACC, fondée en 2020 par Stellantis, TotalEnergies et Mercedes-Benz, incarne cette ambition. Basée en France, Allemagne et Italie, l’entreprise vise une capacité de production de 120 GWh d’ici 2030, soit environ 2,5 millions de batteries par an. En mai 2024, sa première gigafactory à Douvrin (Hauts-de-France) a commencé à produire des batteries pour le Peugeot e-3008, marquant une étape clé pour la « Battery Valley » française. Deux autres usines sont prévues : à Kaiserslautern (Allemagne) en 2025 et à Termoli (Italie) d’ici 2027, soutenues par un financement de 4,4 milliards d’euros obtenu en février 2024 auprès de banques européennes, dont Deutsche Bank et BNP Paribas .

    ACC mise sur une stratégie de souveraineté industrielle et de durabilité, avec des batteries à faible empreinte carbone (jusqu’à 60 % d’émissions en moins par rapport aux chaînes d’approvisionnement chinoises si l’électricité renouvelable est utilisée) et un modèle circulaire intégrant recyclage et réutilisation. Cependant, Yann Vincent a reconnu que la compétitivité face à la Chine reste un défi majeur, notamment sur les coûts et les technologies LFP, où les fabricants chinois excellent.

    Les Échecs et les Limites

    Malgré ces efforts, l’Europe peine à combler l’écart. Le cas de Northvolt, fleuron suédois considéré comme le meilleur espoir européen, illustre ces difficultés. En 2024, Northvolt a déposé le bilan aux États-Unis après avoir accumulé 5,8 milliards de dollars de dettes, plombé par des problèmes de qualité (BMW a annulé une commande de 2 milliards d’euros) et une incapacité à concurrencer les prix chinois. Cette faillite a réduit la capacité de production européenne détenue par des entreprises locales à seulement 30 % du pipeline prévu pour 2030, laissant la part belle aux acteurs asiatiques implantés en Europe.

    D’autres projets européens, comme Britishvolt au Royaume-Uni, se sont effondrés avant même leur démarrage, et plus de la moitié des gigafactories annoncées risquent des retards ou des annulations sans un soutien gouvernemental renforcé. Parmis les obstacles :

    Des coûts élevés : la construction d’une gigafactory coûte des milliards d’euros, et les matières premières comme le lithium et le nickel restent chères (60 000 $/tonne pour le carbonate de lithium en 2023).

    Pénurie de compétences : L’Europe manque d’ingénieurs spécialisés pour la production de batteries, un domaine où la Chine bénéficie d’une expertise de longue date.

    Concurrence géopolitique : Les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act (369 milliards de dollars de subventions vertes), attirent des investissements européens, comme ceux de Freyr Battery, tandis que la Chine inonde le marché avec des batteries à bas prix.

    Une Dépendance Croissante aux Acteurs Chinois

    Ironiquement, l’Europe, tout en cherchant l’autonomie, s’appuie de plus en plus sur l’expertise chinoise. Des entreprises comme CATL, leader mondial, construisent des usines en Europe (Allemagne, Hongrie) pour produire localement, profitant de subventions européennes généreuses (2 milliards d’euros en Hongrie). En France, Envision AESC (Chine) investit 2 milliards d’euros dans une gigafactory à Douai pour fournir Renault, et des coentreprises comme Renault-Minth à Ruitz produisent des boîtiers de batteries avec un savoir-faire chinois. Ces collaborations, bien qu’avantageuses pour l’emploi et la production locale, accentuent la dépendance technologique à l’égard de la Chine, ce qui va à l’encontre du but de souveraineté.

    Les Freins à la Réindustrialisation

    Au cours de son audition, Yann Vincent a mis en évidence divers obstacles structurels à la réindustrialisation de l’Europe dans le domaine des batteries :

    Compétitivité : Les coûts de production en Europe, augmentés par des normes environnementales sévères et des rémunérations supérieures, ne peuvent pas se mesurer aux tarifs chinois.

    Politique technologique : L’Europe a opté pour les batteries NMC (nickel-manganèse-cobalt), qui sont plus onéreuses, alors que la Chine contrôle le marché des LFP, plus abordables et appropriées aux VE de masse.

    Compétition mondiale : Les aides américaines et l’excès de capacité en Chine font dévier les investissements et saturent le marché, ce qui rend les projets européens moins viables.

    Ces enjeux s’alignent sur un cadre plus vaste de réindustrialisation. En dépit de l’apparition nette de 80 000 postes industriels en France depuis 2017 et des projets tels que France 2030, le pays demeure à la dernière position du classement européen avec une part d’emploi industriel ne se plaçant qu’au 22e rang sur les 27. La « Battery Valley » des Hauts-de-France, incluant des initiatives telles qu’ACC à Douvrin ou Verkor à Dunkerque, représente une promesse d’avenir, cependant les avancées se font attendre en raison de la concurrence internationale.

    Perspectives : Élèves Aujourd’hui, Professeurs Demain ?

    Malgré ce constat pessimiste, l’Europe n’est pas condamnée à l’échec. Des solutions existent pour réduire l’écart avec la Chine :

    Renforcer les subventions : Transport & Environment appelle à la création d’un fonds européen pour les batteries, financé par une dette commune, pour concurrencer l’Inflation Reduction Act américain. La France et l’Allemagne ont déjà sécurisé des projets grâce à des aides publiques généreuses.

    Financer la recherche : Le développement de technologies avancées, telles que les batteries à base de sodium ou solides, pourrait donner à l’Europe une chance de recouvrer son leadership. ACC alloue une portion de son budget à la recherche et développement pour ces innovations.

    Préserver le marché : L’instauration de droits de douane sur les batteries importées de Chine, comme proposé par Transport & Environment, pourrait favoriser la protection des producteurs européens tout en stimulant les partenariats locaux.

    Développer l’approvisionnement : Des initiatives de raffinage du lithium en France et en Allemagne, ainsi que des sites miniers tels que celui de Keliber en Finlande, pourraient diminuer la dépendance aux ressources asiatiques d’ici 2030.

    Néanmoins, Yann Vincent souligne l’importance de l’humilité : l’Europe devrait s’inspirer des dirigeants chinois, particulièrement en ce qui concerne la vitesse d’exécution et l’optimisation des coûts. Des collaborations avec des entités telles que CATL ou Envision, si elles sont correctement gérées, peuvent favoriser la transmission de technologies tout en générant des emplois sur place.

    Un défi à long terme

    L’observation de Yann Vincent, bien que brutale, met en lumière une réalité indéniable : l’Europe est à la traîne par rapport à la Chine dans le domaine des batteries, conséquence d’une déficience dans la planification stratégique et d’une rivalité géopolitique intense. Néanmoins, des démarches comme l’European Battery Alliance et des intervenants tels qu’ACC démontrent une détermination à surmonter le défi, grâce à des projets tangibles et des investissements considérables. La « Battery Valley » française, les gigafactories en développement, et les objectifs de souveraineté énergétique sont des indicateurs positifs, cependant le chemin à parcourir est encore long.

    Pour combler l’écart, l’Europe devra combiner subventions ciblées, innovation technologique, et une approche pragmatique intégrant des partenariats avec la Chine sans sacrifier ses ambitions d’autonomie. Comme le souligne Vincent, devenir « élèves » des leaders chinois aujourd’hui pourrait permettre à l’Europe de redevenir « professeur » demain – à condition d’agir vite et de manière coordonnée. Dans cette course mondiale, la réindustrialisation européenne est plus qu’un enjeu économique : c’est une question de survie pour son industrie automobile et sa transition énergétique.

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    Faris Bouchaala
    Faris Bouchaala
    Journaliste Automobile - Rédacteur en Chef Adjoint
    Grand passionné d’automobile depuis mon enfance, mon objectif au quotidien était de trouver le moyen d'arracher le volant à mon père. Très peu de gens ont la possibilité de transformer leur passion en une carrière, et il se trouve que je suis l'un de ces quelques privilégiés. J’ai rejoint la presse spécialisée en 2010, après un parcours totalement loin du domaine, car au final c’est la passion qui l’emporte.

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